Disparition, hausse des prix, difficulté d'accès pour la relève: les terres agricoles du Québec sont sous pression
Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA) en 1978, la portion de territoire située en zone agricole est d’environ 5 % (4,7 % à présent). La zone agricole inclut des terres cultivables mais aussi des forêts privées, des routes, les superficies où se trouvent les bâtiments agricoles, etc., ce qui ramène la superficie de terres agricoles cultivables à moins de 2 % du territoire. À titre comparatif, cette proportion est de 58 % en France et 45 % aux États-Unis. Le sol de bonne qualité pour l’agriculture constitue donc, on le constate, une ressource rare au Québec, et qui plus est non-renouvelable : jusqu’à 1000 ans sont en effet nécessaires pour générer 2 à 3 cm de sol.
Malgré qu’ils soient si précieux et qu’un régime de protection des terres agricoles soit en place au Québec, la pression pour développer les terres agricoles est énorme, surtout en périphérie des villes dans les basses-terres du Saint-Laurent et autour des régions métropolitaines de Québec et Montréal où, paradoxalement, se retrouvent les terres de meilleure qualité.
À l’enjeu de l’étalement urbain - pour des usages résidentiels, commerciaux, industriels et d’infrastructure, récréotouristiques, etc. - s’ajoutent ceux d’accaparement, de spéculation et de financiarisation, qui sont intimement liés et se renforcent bien souvent mutuellement.
Étalement urbain
Consiste en la progression des surfaces urbanisées, à la périphérie des villes. C’est un « phénomène marqué par un éparpillement des activités et une suburbanisation résidentielle aux différentes échelles du territoire. » Cet étalement se fait sur les milieux agricoles et naturels qui perdent alors leur capacité à fournir des biens et services écosystémiques (production de nourriture, absorption et filtration de l’eau, amélioration de la qualité de l’air, captation de carbone, etc.).
Accaparement des terres
« On entend par « accaparement des terres » l'acquisition ou la location d'importantes superficies foncières par des investisseurs du secteur privé (banques, sociétés, fonds d'investissement) ou du secteur public (entreprises d'État, institutions gouvernementales, fonds souverains).» Des acteurs privés issus du milieu agricole peuvent également faire de l’accaparement, tel qu’observé récemment dans La Mitis. La forte disponibilité en capitaux à investir des acteurs en dynamique d'accaparement crée une surenchère qui a pour effet de faire monter le prix des terres agricoles et les rend plus difficilement accessibles, voire inaccessibles aux agriculteurs (tant pour l’achat - individuel ou collectif - que pour la location). Puisqu’il y a moins de terres accessibles et que celles disponibles sont plus dispendieuses, cette situation compromet la capacité des entreprises agricoles à se développer et à la relève agricole de s’établir, peu importe le mode de tenure.
Spéculation
« La spéculation consiste à acheter un actif dans l’espoir que sa valeur augmentera », où « le spéculateur attend une rentabilité importante de son engagement, pour rémunérer le risque qu’il prend. » En agriculture, les terres agricoles sont acquises à cette fin quand, par exemple, un promoteur achète une terre dans l’espoir qu’elle sera un jour dézonée afin d’y faire du développement immobilier qui lui permettra de tirer des profits pour rentabiliser son investissement. Parfois la terre est louée pour être cultivée, mais souvent elle est laissée en friche dans l’espoir que cela facilitera une approbation de dézonage à la Commission de protection du territoire agricole. Ces terres achetées pour spéculer sont, ici aussi, difficilement accessibles, voire inaccessibles aux agriculteurs et, à terme, se traduisent en perte de superficie cultivée.
Financiarisation
« Le concept de financiarisation [...] est utilisé en référence au « rôle croissant des motifs financiers, marchés financiers, acteurs financiers et institutions financières dans l’activité des économies nationales et internationales. » Un exemple de financiarisation en agriculture est l’achat de terres agricoles par des organisations financières - fonds d’investissement, fonds de pension, etc. - puisque les terres sont un actif sécuritaire: elles sont tangibles, leur valeur augmente en continu et, lorsqu’elles sont cultivées, elles procurent un revenu annuel assez prévisible. Cependant, l’arrivée de joueurs du milieu de la finance dans le marché foncier agricole, même sans accaparement i.e. sans qu’il soit question de grandes superficies, désavantage doublement les agriculteurs: ceux-ci n’ont d’une part pas la même capacité d’achat que ces organisations qui, à cause de leurs grandes ressources financières, provoquent une surenchère qui a pour effet d’autre part de faire monter le prix des terres agricoles et les rend plus difficilement voire inaccessibles aux agriculteurs.
Les acteurs et les processus derrière ces différents enjeux sont multiples et complexes: des acteurs privés tels que les agriculteurs, les villégiateurs, les banques ou les promoteurs immobiliers s’y retrouvent, mais le gouvernement lui-même contribue à ces dynamiques via ses décisions en aménagement du territoire.
Pendant que ces dynamiques sont à l’oeuvre, sur fond de développement économique, c’est l’agriculture et ses acteurs qui sont perdants: c’est à coup de milliers d’hectares annuellement que des terres arables précieuses et non-renouvelables disparaissent sous le béton ou les friches, affaiblissant du même coup notre capacité nourricière. Depuis 1998, la zone agricole a ainsi perdu près de 57 000 hectares via des exclusions de la zone agricole et des changements d’usage à l’intérieur de cette même zone, soit l’équivalent de 12 terrains de football américain par jour. Les terres qui demeurent en exploitation sont quant à elles devenues hors de prix : une augmentation de 109% en 10 ans du prix à l'hectare, en hausse constante sous le poids de la spéculation, de l’accaparement et de l’étalement urbain. Cette réalité est problématique pour la relève agricole puisqu'elle contribue à un surendettement qui fragilise la viabilité économique de leur démarrage d’entreprise.